AFROFEM

On pourrait imaginer l'intersectionnalité en une tresse ou une autre coiffure qui nécessite un entrecroisement de plusieurs mèches. Autant dans les noeuds éventuellement créés durant le procédé, que dans les brins de cheveux venant se croiser, donnant un résultat requérant la présence de chaque élément.
L'intersectionnalité ("intersectionality") est un mot et concept théorisé par Kimberlé Crenshaw en 1989. Il décrit et vise à combattre une sorte de double peine, celle d'être une femme et d'être noire/afrodescendante, car aucun des grands combats d'émancipation jusqu'à lors n'avait défendu ce vécu en particulier et évoqué les discriminations qui en résultent, appelé la misogynoir (concept théorisé ultérieurement) Le terme a donc été théorisé pour décrire l'accumulation de discriminations qui ne formait pas une somme mais plutôt une forme spécifique de vécu propre aux femmes noires.
Si le concept a été créé par et pour les femmes noires, il a été crucial pour qualifier et défendre les identités "multiples" diverses. Les combats d'émancipation existant politiquement et médiatiquement présentent une unidimensionnalité identitaire. Le féminisme défend la condition des femmes et étant un mouvement ayant principalement évolué et ayant fédéré en Occident, l'imaginaire collectif contribue à penser le féminisme comme concept libérateur des femmes. Il ne se penche pas sur des problématiques non vécues par les personnes portant ce mouvement, des femmes blanches, hétérosexuelles, de classe moyenne ou aisée jusqu'à aujourd'hui. Les Black Panthers qui s'inscrivent dans le mouvement des droits civiques menaient un combat pour dénoncer l'expérience Noir•e•s, raciste et discriminante. Ces revendications étaient une question de droits humains élémentaires et de survie, donc urgentes. Les personnes Noir•e•s ont pu faire pression à travers cette lutte en montrant une uniformité dans l'identité à laquelle les adhérents appartenait, ainsi qu'à l'unicité des revendications résultant de discriminations raciales.

Quand on parle de racisme et de discriminations des personnes noires et afrodescendantes, le facteur déterminant se trouve dans la carnation. La couleur noire s'oppose à la couleur blanche. Les couleurs de peau sont hiérarchisées et au plus claire est la carnation, au plus des privilèges y sont associés : il s'agit du colorisme.
Ce phénomène existe également au sein des communautés afrodescendantes et explique en partie le fait que des personnes noires (en particulier les femmes) utilisent des produits pour éclaircir leur peau. Étant donné que sociétalement blanchité soit synonyme de privilège et de beauté, une femme ayant la peau claire sera mieux considérée, et ce, bien souvent au sein même de sa communauté.
Les concepts de races sociales ont été étudiés et définis majoritairement dans les pays anglo-saxons. "Whiteness" peut être traduit par les termes blanchité ou blanchitude, une notion qui "permet de penser le blanc comme une couleur de peau qui produit les autres", tandis que "blackness" ne trouve pour le moment pas de traduction en français.
Les races sociales sont une construction basée sur les phénotypes et les privilèges auxquels ils donnent droit. On associe blanchité de toute évidence à une couleur de peau claire, à des traits fins et des cheveux lisses. L'imaginaire collectif peint les personnes noires aux antipodes de ces attributs. On parlera de faits racistes où des personnes sont discriminées sur base de leur couleur de peau. Dans des cas de micro-aggressions, des remarques viseront les cheveux, des traits physiques, l'origine (donc pas la couleur de peau) propre à la race.
Une charte de classification de type de cheveux est créée dans les années 90 par Andre Walker, le coiffeur d'Oprah Winfrey. Cette classification est à la base mise au point par le coiffeur pour promouvoir ses produits capillaires. Le système est divisé en quatre types, allant de 1 à 4, et sous-divisé en sous-types A, B et C. Le cheveu le plus lisse est donc de type 1 et le plus crépu est de type 4C. Cette classification est indicative car en réalité, un cuir chevelu possède souvent plusieurs "types" de cheveux à différents endroits de la tête. Une manière de classer un cheveu avec plus d'exactitude serait de le faire par ordre de porosité. Le système de classification d'Andre Walker est souvent utilisé seul de par sa simplicité de compréhension et de visualisation.
Bien que le cheveu lisse ne soit pas uniquement associé à la blanchité (car d'autres groupes ethniques partagent cette caractéristique, par exemple en Asie), le 4C est automatiquement symbole d'identité africaine et donc de "blackness".

On peut dès lors établir un parralèlisme entre le colorisme et les différents types de cheveu. Les deux systèmes définissent une hiérarchie de beauté et désirabilité. De plus, les médias se servent de ces deux systèmes d'une manière édulcorée pour par exemple donner une image inclusive à une marque ou se montrer représentatifs du plusieurs groupes : il s'agit de tokénisme. C'est-à-dire que bien souvent une personne métisse ou lightskin sera choisie au cinéma ou à la télévision pour jouer et représenter une personne noire.
Pour la classification des cheveux, un même systèmes de tokénisme peut être décelé. Le "Natural Hair Movement" voulant être un mouvement libérateur des cheveux naturels s'est vu mettre en avant des femmes aux cheveux ondulés ou bouclés, ne laissant que très peu de visibilité aux femmes ayant les cheveux les plus crépus. Dans cette mesure, le mouvement n'a pas accompli ses objectifs et s'est vu ôté des personnes qui l'avait créé et pour lequel il était à la base destiné. Des produits capillaires à destination des femmes aux cheveux frisés/crépus ont fait usage du même stratagème jusqu'à le pousser à du white washing. En 2017, la marque de produits capillaires Shea Moisture a lancé une campagne publicitaire présentant majoritairement des femmes blanches ou de carnation claire alors que la marque trouve ses principa•les• client•e•s dans la communauté afro-américaine.

Le libre de droit a été une pratique majeure dans la réalisation de mon travail de fin d'études. La question de l'éthique a été le premier aspect du libre de droit qui m'a intéressé. Il me semblait évident, étant donné du sujet de mon TFE -engagé politiquement - , que ma pratique de création graphique et théorique devait l'étre également.
J'ai commencé ma recherche avec une position radicale, celle de n'utiliser que des logiciels, fontes et images libres de droit. Cette période a été une découverte de nouveux logiciels venant remplacer ceux que j'avais pris habitude de manipuler. Certains similaires aux logiciels que la plupart des personnes exercant une pratique graphique, d'autres ayant un langage et une approche très diférente et nouvelle pour moi. Je me suis avant tout servi de ces technologies qui m'étaient nouvelles ou peu familières comme expérimentations.
Cela peut paraître anodin pour une personne qui travaille sur un travail de fin d'études en graphisme, mais j'ai également adopté des programmes libres de droits pour la rédaction pure de mes textes, dont celui que vous êtes en train de lire. Le libre de droit m'était presque inconnu avant cette année de recherche et j'ai été agréablement surprise de pouvoir créer à partir d'outils nouveaux, donnant dans certains cas des formes aléatoires , de découvrir un monde de graphis•m•tes impliqués directement dans cette pratique politique et éthique.


Mon désir de ne faire usage que de matières et outils libres de droits s'est heurté à plusieurs reprises. Bien que je ne considère toujours pas qu'il s'agisse d'un souhait trop ambitieux, ma novicité à cet univers a été un frein à plusieurs reprises, principalement quant à la réalisation graphique de ce travail de fin d'études.
Je n'ai pas éprouvé de difficultés à substituer un logiciel tel que Photoshop par Gimp, ou Illustrator par Inkscape. Par revanche je ne suis pas parvenue à m'initier à l'alternative d'InDesign qu'est Scribus, que j'ai trouvé moins intuitive et facile d'utilisation. Une autre alternative qui s'offrait à moi était alors HTMLtoPrint, une option que j'ai brièvement exploré mais que j'ai rapidement mise en marge par manque de connaissance de ce langage. Une autre limite a été celle des typographies utilisées. J'ai très vite considérées les fontes faisant partie intégrante de la narration de mon sujet. Ce dernier s'inscrivant dans l'afroféminisme, j'ai d'abord recherché des fontes libres de droits créees par des Afrodescendant•e•s. Il s'agissait peut-être d'une recherche trop restrictive au vue des résultats. J'ai donc élargi ma recherche à des fontes - toujours libres de droits - faites par des femmes. J'ai trouvé une plateforme (BADASS LIBRE FONTS BY WOMXN) reprenant des fontes créées par des femmes*, souvent sous-représentées dans le domaine typographique. Je ne me suis pas limitée à ces polices d'écritures car elles ne se prêtaient pas toujours à mon message graphique qui se voulait par moment fort et impactant. Elles m'ont tout de même fait prendre conscience d'un manque de parité homme/femmes existant également dans le secteur artistique. Bien que la radicalité avec laquelle j'ai commencé cette recherche aie rapidement été réajustée et qu'ainsi, ma pratique ayant recours au libre de droit n'aie été que partielle, ce compromis a été pour moi une introduction à une nouvelle manière de faire, plus éthique.
En plus d'être à mes yeux une pratique plus juste, le libre de droits m'a donné d'autres outils, qu'en tant que graphiste je pourrai varier pour raconter des choses différentes en variant la manière de les exécuter. Cette année a donc été pour moi une introduction à un graphisme que je ne connaissais que très peu et une transition de discours graphique.