réécrire et traduire
Qu’il s’agisse de vocabulaire concernant nos cheveux, ou plus largement pouvant décrire nos expériences en tant que personnes racisé·e·s, nous sommes bien souvent confronté·e·s à se référer à un vocabulaire anglophone.
Un travail de traduction n’a pas été fait ou des concepts demeurent intraduisibles car ils ont été étudiés et théorisés dans des pays anglo-saxons.
Nous incorporons donc des mots anglais tels quels dans notre langage.
On dira "twists", "co-wash", "weave" pour décrire un style de coiffure, une méthode pour entretenir ses cheveux et une sorte d’extensions.
On fera appel à des termes comme "blackness" ou "sisterhood" dans des sphères militantes afin d’évoquer des concepts identitaires et des vécus.
La portée de notre vocabulaire peut se réveler limitée étant donné que celui-ci est complet, complexe et l’anglais n’est pas une langue maternelle pour beaucoup d’entre nous.
mauvais cheveu
Au sein même de nos communautés, nos cheveux peuvent être stigmatisés.
Leur "beauté" est sujette à des transpositions de canons esthétiques occidentalo-centrés, à leur "lisseté", leur facilité d'entretien.
Dans nos diasporas africaines, des mouvements d'acceptation du cheveu naturel sont nés pour se libérer des injonctions des coiffures normées, dites "professionnelles".
Le mouvement nappy, apparu dans les années 2000 aux états-Unis - rejoint plus tard par l'Europe - s'est réapproprié un terme à l'origine péjoratif (qui fait référence à la texture du coton que les esclaves récoltaient) et ont ainsi redéfini le "bad hair/mauvais cheveu".
Suki Mabe est une traduction littérale de Mauvais Cheveu en lingala, une des langues les plus répandues du Congo et dans sa diaspora.
La communauté congolaise est encore fortement influencée dans ses codes par un héritage colonial ; il se manifeste dans le capillaire de diverses manières.
On défrise les cheveux des filles dès le plus jeune âge, les perruques sont principalement des coiffes de cheveux lisses, les mannequins présentant les produits censés nous être destinés ont tou•te•s des traits caucasiens.
Hrach est un terme péjoratif pour désigner des cheveux "secs/rugueux" en darija, dialecte arabo-berbère au Maghreb. Le cheveu nord-africain, présentant souvent plus de types, subit les mêmes pressions sociales. En 2018, le collectif "Hrach Is Beautiful" est né.
Le mouvement se veut libérateur de la stigmatisation intra-communautaire que subissent les Nords-Africains ayant les cheveux crépus/frisés. Les injonctions reçues découlent d'un racisme négrophobe et d'un colorisme ancré en Afrique du Nord.
Hrach is Beautiful veut réclamer l'africanité qui est peu évoquée dans les questions identitaires propres au Maghreb et plus largement à l'Afrique du Nord.
Comme je l'ai mentionné auparavant, la constitution du glossaire a été motivé par le constat d'un vocabulaire intraduisible ou encore non traduit. Il a été une réflexion de la langue ainsi que de ses limites.
Cette étape de recherche n'a pas commencé par le vocabulaire capillaire mais plutôt par le vocabulaire employé dans des sphères militantes, que je n'aurais pas compris si je n'étais familière à l'emploi de certains termes.
On a souvent posé la question de pourquoi l'Europe (dans le cas présent, la Belgique et la France) étaient si en retard concernant les problématiques raciales et qu'il était même rare que les politiques en parle. La réponse que j'ai entendu à plusieurs reprises était la suivante :
"Comment voulez-vous que nous abordions un problème dans sa profondeur et sa complexité nous n'avons même pas les mots nécessaires à le décrire?"
J'ai donc dressé une liste de mots/termes dont effectivement je ne connaissais pas de traduction en français.