*texte inspirant du livre "Une brève histoire des lignes de Tim Ingold": chapitre 5, art du mouvement pg175. "Dans la calligraphie comme dans la danse, l'artiste concentre toute son énergie et sa sensibilité dans une série de gestes extrêmement contrôlés. Les deux requièrent la même préparation et la même attaque qui, une fois lancées, sont exécutées rapidement et sans aucun temps d'arrêts. De même, le corps entier participe à l'action. Même si on pourrait croire que la calligraphie travaille avec sa seule main, ses mouvements manuels tirent en fait leur source des muscles du dos et du torse, soutenus par sa position assise sur le sol et qui s'étendent ensuite aux épaules coude au poignet. Mais il existe peut-être une différence entre ces deux arts. Alors que la danse tend à être centrifuge, animée d'une énergie contenue qui jaillit à partir d'un centre actif situé à l'intérieur du corps du danseur, la calligraphie est centripète; toute l'énergie passe par un ensemble de "postes de contrôle"- épaule, coude, poignets, articulations des doigts - pour aller jusqu'aux extrémités d'un pinceau toujours en mouvement, dont les centaines de poils laissent généralement (mais pas toujours) une trace, alors que ceux du danseur n'en laissent généralement pas ( bien qu'il leur arrive aussi d'en laisser). Au moment où ils sont exécutés, les gestes calligraphiques se déploient à peu près comme les gestes chorégraphiques; ils sont comme des scènes miniatures, qui se dissolvent tout de suite après s'être formé pour laisser la place aux suivants » Ce texte de Tim Ingold m'a beaucoup plu et inspiré car il compare l'art du mouvement de la danse à la calligraphie. Je n'avais jamais fait de lien entre la typographie écrite à la main et le mouvement du corps mais en lisant ce livre et ce chapitre en particulier je me suis rendu compte qu'effectivement lorsqu'on écrit, lorsqu'on produit un objet, une œuvre c'est tout notre corps qui travaille et pas seulement nos mains. Cela m'a poussée aussi à voir les choses différemment. J'ai commencé à travailler sur du grand format alors j'ai dû penser à de multiples choses : comment accrocher mon papier, comment assembler le tout car j'avais une trentaine de papier à accrocher ensemble, le mettre au sol, monter sur la chaise, grimper pour accrocher mon papier etc. C'est à ce moment que je me suis rendu compte que tout mon corps bougeait pour pouvoir placer cette affiche au grand format. Les papiers assemblés donnaient une image avec un mot qui est tramé par le programme texturing. Ce qui donne que lorsqu'on est proche on voit la trame et lorsqu'on s'éloigne on voit le mot apparaitre mais aussi les nuances des gris qui se trouve sur l'affiche. J'ai voulu par la suite reproduire cela mais d'une manière différente. C'est comme ça que je suis venue à la calligraphie, travailler la calligraphie sur du grand format, ça prend du temps et de l'énergie. C'était retravailler dessus plusieurs jours d'affilés, mais tout en restant dans une même "ambiance" pour continuer le travail et rester dans une même optique. Cela demande une grande part de concentration physique et mentale car je faisais travailler mon cou, ma nuque, mon bras, mon épaule, mes yeux, tout cela en même temps. Je me suis rendue compte le travail que cela impliquait. Cela m'a permis de comprendre ce que c'est de prendre le temps de dessiner. Et ce même pour une simple lettre car même si c'est mon écriture, il faut bien savoir s'appliquer pour former une belle forme. Aussi au fur et à mesure je ne voyais plus des lettres mais un dessin. Un dessin qui se formait de plus en plus. Et c'est à ce moment-là que je trouvais cette technique intéressante :le message, l'écriture qui sert à dire à communiquer devenait un dessin. On ne voyait plus forcément le message car la lecture devient compliquée et lente. J'ai toujours été intéressée par la danse, l'art du mouvement et pouvoir l'appliquer dans de la typographie, dans le graphisme ça devient très intéressant. On pense alors autrement que lorsqu'on doit faire une affiche, un flyers ou ici c'est de l'ordre de la communication telle qu'on la connait. Dans mon travail, je communique aussi mais c'est plus de l'ordre d'un sentiment. C'est certes beaucoup plus abstrait mais je pense qu'il faut d'abord toucher les gens par le biais d'une émotion pour pouvoir capter leur curiosité et par la suite alors communiquer.